Le mot “responsable” est aujourd’hui omniprésent : sur les packagings, dans les campagnes publicitaires, au cœur des stratégies d’entreprise. Pourtant, la frontière entre communication sincère et greenwashing reste ténue.
Dans un contexte où les consommateurs sont plus attentifs, plus informés et plus exigeants, comment construire un marketing aligné avec les enjeux environnementaux et sociétaux ?
Deux expertes Isara, Ingrid Barthod, consultante Stratégie, Marketing et Innovation, et Agnès Epalle, directrice du Pôle Professionnel et ancienne directrice Marketing d’Alpina Savoie, partagent leurs visions d’un marketing à la fois lucide, exigeant et porteur de sens.
Repenser le rôle du marketing

Pour Ingrid, « le marketing devrait être responsable par nature ». Il n’y a pas un marketing durable et un marketing « normal », il faut rendre le marketing plus responsable afin d’obtenir plus d’impacts positifs que négatifs et cela ne concerne pas que l’environnement.
Trop souvent perçu comme un outil d’influence ou de performance, il doit avant tout servir une intention en lien avec la mission que s’assigne l’entreprise qui l’oblige à se connecter de façon sincère à ses clients cibles et de façon plus large à ses parties prenantes en apportant de la valeur à chacune d’elles.
Le marketing responsable, c’est celui qui aide à résoudre des tensions entre attentes des consommateurs, contraintes économiques et impératifs écologiques.
Il s’appuie sur la sincérité, la rigueur et la transparence, loin du “storytelling” enjolivé, mais sans oublier le désir ! Une équation complexe ô combien intéressante que catalyse une stratégie parfaitement intégrée au cœur de la stratégie d’entreprise.
Le marketing permet de rendre désirable la RSE et la RSE permet de donner du sens au marketing.
Pour Ingrid, la clé est de rester factuel, d’appuyer chaque message sur des preuves tangibles : économies de ressources, filières durables, choix d’approvisionnement… mais aussi de reconnaître les limites de ce qui reste à accomplir.
On peut dire ce qu’on fait bien, mais aussi ce qu’on n’a pas encore réussi à faire, ou le chemin qu’il reste à parcourir. C’est ça, la sincérité.
Quand la responsabilité devient moteur de la stratégie : l’exemple d’Alpina Savoie
Chez Alpina Savoie, la responsabilité ne s’est jamais limitée à une démarche RSE périphérique. Elle faisait partie intégrante de la stratégie de l’entreprise, dans la continuité de sa mission : contribuer à la transition agricole et alimentaire.
« Il n’y avait pas d’un côté la stratégie et de l’autre la responsabilité : c’était indissociable », explique Agnès.
Entreprise bicentenaire, Alpina a été pionnière en 1997 avec la création de la première filière de blé dur responsable et certifiée, construite en partenariat avec des coopératives et des agriculteurs français.
L’objectif : produire un blé de qualité, à haute valeur protéique, tout en préservant la biodiversité et les sols.

Cette démarche a façonné toute la vision d’Alpina : travailler exclusivement avec des blés français, accompagner la filière, et créer il y a plus de dix ans la première filière de blé dur bio.
Les Français sont les troisièmes consommateurs de pâtes en Europe, mais les deux tiers sont importées. Notre enjeu, c’était de préserver le savoir-faire français et de soutenir la filière du blé dur.
Cette cohérence entre mission, filière et stratégie marketing a permis à Alpina de bâtir une marque authentique et durable — loin de tout vernis opportuniste.

Une responsabilité systémique
Pour Agnès, la dimension responsable n’est plus une option :
Sur six des neuf limites planétaires déjà franchies, le système agricole et alimentaire est à la fois une des causes du dépassement mais en est également victime.
L’agroalimentaire est donc au cœur des enjeux — et des solutions.
Le marketing, en tant que lien entre production et consommation, a un rôle crucial : accompagner le consommateur vers une compréhension éclairée des impacts de ses choix.
Cela passe par la transparence, la pédagogie et une communication qui s’appuie sur des faits, pas sur des effets.
Le marketing a une responsabilité environnementale, c’est indissociable.
Mais il faut aussi parler positivement : de plaisir, de partage, de convivialité. « Le discours responsable ne doit pas être anxiogène. Il doit montrer que bien manger, c’est aussi riche de sens. »

Transparence et authenticité comme rempart au greenwashing
Pour éviter le greenwashing, les deux expertes s’accordent : il faut être vrai.
Même les entreprises “RSE natives” peuvent se tromper si elles exagèrent un impact mineur ou communiquent de manière disproportionnée.
« Il ne faut pas pipeauter. On n’est jamais parfait, mais on peut être honnête », résume Agnès.
Cela demande de la formation, de la lucidité et parfois du courage : celui d’assumer qu’on est en transition. Un bon marketing responsable sait expliquer où en est l’entreprise, sans surjouer, tout en valorisant les petits pas concrets.
Montrer qu’on avance, même imparfaitement, c’est déjà une preuve de sincérité.
Relier les mondes, faire système
Agnès insiste sur la nécessité de reconnecter le monde agricole et le monde agroalimentaire, deux univers qui se sont éloignés avec le temps.
« Les deux ont besoin l’un de l’autre. Tout commence dans les champs, avec la manière de produire. »
Le marketing peut justement être ce pont entre l’amont et l’aval : raconter les histoires de filières, valoriser le savoir-faire des producteurs, montrer les engagements réels derrière les produits.


Le marketing comme levier de transition
Pour Ingrid comme pour Agnès, le marketing responsable n’est pas un supplément d’âme, mais une boussole stratégique. Il aide les entreprises à aligner discours, pratiques et valeurs, à structurer leur transformation sans se perdre dans le “green”.
Ce n’est pas un discours, c’est un engagement. Et quand il est sincère, il touche vraiment les gens.
Le marketing responsable, c’est celui qui fait le lien entre sens, science et émotion — une manière de réconcilier le marché et le vivant.



